Les Aventures d'Erwin & Livaï #1
- fallen Raziel
- 11 mars 2021
- 10 min de lecture



Le froid de l'hiver hurlait dehors. Mais dedans, le crépitement des flammes dans le grand âtre du château suffisait à donner une impression de chaleur. Les pierres disjointes des murs anciens laissaient malgré tout passer des courants d'air que le feu ne parvenait pas à faire oublier totalement.
En cette fin d'année 846, les expéditions avaient cessé et ne reprendraient que l'année prochaine. Erwin Smith, le major du bataillon d'exploration, en avait donc profité pour tenter de dénicher un nouveau quartier général pour son régiment. Cet ancien bâtiment fortifié, à l'intérieur du Mur Rose, lui avait paru adéquat, mais le coût des réparations serait exorbitant, pas du tout dans les moyens du bataillon. Seules la salle commune et l'aile ouest tenaient encore debout. Il avait espéré en venant ici que les dégâts du temps ne soient pas si conséquents, et il s'était trompé.
Le temps de s'en rendre compte, la tempête de neige s'était levée, coupant toute possibilité de retour avant plusieurs heures. La nuit était tombée et l'avait forcé à rester ici. Mais il ne s'en plaignait pas ; il était du genre à s'accommoder de toutes les situations. Assis dans le canapé qui trônait dans la pièce, il avait étalé devant lui sur une table basse quelques papiers importants qu'il avait emmenés avec lui. Il devait vérifier l'état des finances et se préparer à se rendre à des soirées de donateurs en cas de besoin.
Il parcourait des yeux de longues listes de fournitures quand la grande porte d'entrée claqua derrière lui. Un souffle violent chargé de flocons envahit la pièce pendant quelques secondes. Il ne sursauta même pas, il savait qui c'était. Il se tourna à demi par-dessus le dossier du sofa et regarda un instant Livaï, son fidèle subordonné, occupé à taper ses bottes contre le mur de l'entrée. Des plaques de neige blanche tombèrent au sol, où elles ne tardèrent pas à fondre grâce à la chaleur ambiante. Les cheveux de jais du caporal étaient constellés de neige brillante et il se secoua un peu pour la chasser. Emmitouflé dans son manteau militaire rembourré, il ressemblait à un petit animal à fourrure à la mine hargneuse plutôt qu'à un humain. Il s'exclama alors :
- Putain, Erwin, on se les gèle vraiment là-bas ! Mais les chevaux sont à l'abri. Ils passeront la nuit au chaud.
Erwin hocha la tête sans répondre et retourna à ses papiers. Il devait se concentrer pour ne pas perdre le fil. Le caporal se déplaça dans son dos, longeant le canapé pour se placer face au feu. Il étendit ses mains devant les flammes et soupira d'aise en sentant sa peau se réchauffer à travers ses gants. Il commença à retirer son manteau doucement, puis avec plus d'empressement, car la neige fondue devait couler en dessous. Erwin sourit à cette vue, et un moment son attention se détourna de nouveau de sa tâche.
Il ne pouvait s'empêcher de regarder Livaï se débarrasser au fur et à mesure de toutes les couches qu'il portait, jusqu'à ce que sa chemise habituelle de militaire apparaisse. Des auréoles de sueur et de neige fondue la marquaient par endroit, et il vit Livaï frissonner.
- Tu devrais rester près du feu et te frictionner, lui conseilla-t-il. Tu risques d'attraper froid.
Sa phrase fut ponctuée par un court éternuement, suivi d'une protestation ennuyée.
- C'est de ta faute si je me suis enrhumé ! On a pas idée de venir ici, loin de tout, alors qu'une tempête de neige se trouve dans les parages !
- Je ne savais pas, les prévisions météo étaient bonnes pourtant...
- Tu sais bien qu'elles sont bidons deux fois sur trois ! Vraiment, je te retiens de m'avoir fait venir ici...
- Hanji et Mike n'étaient pas disponibles, et puis je ne t'ai pas forcé...
- Non, mais c'est quand même de ta faute. Heureusement qu'on a prévu de quoi se changer.
- Je ne savais pas si nous allions rentrer aujourd'hui au QGR, j'ai préféré que nous soyons parés...
Livaï marcha vers son paquetage adossé à un coin de la cheminée, et fouilla dedans un moment. Il en retira un pull en mailles fines, et un pantalon épais, un peu trop larges pour lui. Erwin avait remarqué sa perte de poids récente ; il lui en avait parlé une semaine plus tôt, mais Livaï n'avait pas paru s'en inquiéter.
Le caporal se dirigea avec ses vêtements secs dans un coin de la pièce, une petite alcôve obscure, mais le major ne ratait rien de ses gestes. Il n'avait plus la tête à compulser les listes interminables et la quiétude du lieu le saisit soudainement. Avec le froufroutement des vêtements de Livaï qui glissaient sur le sol, l'endroit lui parut tout à coup très pittoresque et solitaire - et même un peu romantique. Il se laissa aller à la rêverie pendant quelques minutes - tout en gardant ses yeux fixés sur le caporal à moitié nu, à l'autre bout de la pièce.
Quand Livaï revint dans la lumière, il baissa précipitamment les yeux et fit semblant de lire ses papiers. Le caporal essayait de s'enrouler dans une grande couverture. Il le laissa s'approcher et entamer lui-même la conversation.
- J'y crois pas, il a fallu que tu ramènes du boulot, t'es vraiment qu'une tête de mule. Tu peux pas lâcher ça, une minute ?
- Pour une minute, je le peux, plaisanta Erwin. Qu'as-tu de plus utile à me proposer ?
- Ben... cet endroit, déjà. J'ai cru comprendre qu'il ferait pas l'affaire, non ?
- Effectivement.
- Génial, je me suis pelé le cul pour rien et on va devoir passer la nuit entre ces murs remplis de blattes, je parie !
- Si tu veux faire la chasse aux blattes, je crains d'avoir du mal à dormir...
- Je peux pas blairer ces saloperies, s'il y en a, il est hors de question que je pionce là.
- Tu peux essayer l'aile ouest mais elle n'est plus isolée... et il n'y a plus de mobilier.
- Plus rien à part ce canapé moisi.
- Il est encore assez confortable.
- Parce que t'as des grosses fesses.
- Et si tu me disais quelque chose de gentil pour changer ? le supplia-t-il en souriant.
Erwin était habitué à l'humeur souvent exécrable de son subordonné. Il ne lui en tenait jamais rigueur car c'était la seule méthode que Livaï connaissait pour extérioriser ses sentiments. Il ne fallait jamais prendre ce qu'il disait au pied de la lettre. Il tapota le canapé à côté de lui et dit :
- Assieds-toi, tu verras qu'il n'est pas si mal.
Livaï se laissa tenter et s'affala sur le sofa qui grinça un peu sous son poids. Il ronchonna en cherchant une meilleure position.
- Y a des ressorts rouillés là-dedans.
- Ils ne te feront pas de mal. Je ne sens rien, moi.
- T'as toujours réponse à tout.
- Ca fait partie de mon travail.
- Justement, t'as pas dit que tu laisserais tomber un peu ? Au moins ce soir, ça va pas te tuer.
- Bien, qu'allons-nous faire alors ?
Erwin repoussa ses papiers et porta réellement son attention sur le caporal, enroulé dans sa couverture. Il était nonchalamment appuyé sur l'accoudoir opposé et le regardait lui aussi avec intérêt. Erwin se sentit un instant scruté par ce regard jusqu'aux os. Les yeux gris de Livaï paraissaient enflammés par les reflets du feu dans la cheminée. Le caporal brisa le charme.
- Si tu me racontais ce que vous vous êtes dit avec Moustache l'autre jour ? T'as rien voulu me dire et j'ai pas arrêté de me poser des questions. C'était important, top secret, ou quoi ?
- C'était en rapport avec cet espion que nous avons découvert le mois dernier. Apparemment, c'était un cultiste, un fanatique des Murs.
- Il était pas très discret, faut dire. Avec ses discours débiles... Mike a pas tardé à remarquer que son odeur traînait dans ton bureau. Il m'a suffi d'aller le choper...
- Il t'a tout de même forcé à voler sur les toits du QGR !
- Il a pas volé longtemps. Moustache t'a rien dit d'autre ?
Erwin baissa la tête et resta les yeux dans le vague un moment. Il entendit Livaï glisser sur le canapé et s'approcher de lui, juste un peu...
- Nile n'est pas un mauvais homme, tu sais. Il a choisi sa vie...
- Et toi, non ?
- Si, mais... parfois, je l'envie.
- C'est vrai ? s'étonna Livaï. Tu es toujours raide de... Mary ?
- Non, ce n'est pas ça. Mais... sa vie est bien paisible. N'importe qui pourrait l'envier.
- Pas moi. Je pourrais pas rester les bras croisés pendant que les mochetés attendent de nous becqueter de l'autre côté.
- Pourquoi ?
- Je sais pas. J'aurai l'impression d'être inutile.
- Tu as donc besoin de te sentir utile ?
- C'est une sensation agréable.
"Tout comme ta présence juste à côté de moi", pensa très fort Erwin. Mais il se garda bien de l'exprimer à haute voix. Au lieu de cela, il eut envie que Livaï en dise plus. Il s'étala un peu dans le canapé, rejeta la tête en arrière et étendit son bras sur le dossier. Ses doigts effleurèrent les mèches encore humides de Livaï. Il avait tout à fait oublié ses documents si importants...
- Tu ne l'avais jamais ressentie avant ? interrogea Erwin.
- Tu veux dire en bas ? Si, de temps en temps. Mais c'était pas... ce que je voulais.
- Tu avais tes amis pourtant. Ils comptaient pour toi...
- Oui... mais c'était pas... suffisant. Il me manquait quelque chose...
- Quoi ?
Livaï secoua la tête, comme gêné par la question. Peut-être n'avait-il pas de réponse et Erwin s'en voulait de lui imposer cet interrogatoire. Mais il était si près d'obtenir l'explication qu'il attendait depuis si longtemps, il ne voulait pas laisser passer cette chance. Il attendit que Livaï reprenne ses esprits.
- Je voulais... une vie digne, prononça enfin le caporal.
- C'est digne de tuer des titans ? Beaucoup pensent le contraire.
- On s'en fout, moi, ça me va. Je pourrais pas vivre une vie tranquille tant qu'ils seront là.
- Tu penses encore à ton salon de thé ?
- Arrête de te marrer ! Ouais, pourquoi pas. Mais y a du boulot avant ça.
- Pourquoi as-tu à ce point besoin de te battre ?
Erwin se résigna à poser la question qui le taraudait depuis que Livaï était devenu explorateur à part entière. Il eut du mal à la sortir, comme si le simple fait de l'énoncer en révélait trop sur lui-même.
- Pourquoi es-tu resté, Livaï ? Tu aurais pu me tuer et t'enfuir. Tu voulais me tuer, réellement. Alors pourquoi ?
Le caporal resta la bouche ouverte, incapable de prononcer un mot. Il détourna la tête et regarda ses pieds qui dépassaient de la couverture. Erwin suivit son regard et constata que la façon dont il tordait ses orteils en disait long sur ce qu'il ressentait.
- N'essaie pas de comprendre..., souffla Livaï. J'essaie pas, moi, j'essaie plus, j'ai jamais réussi à comprendre. C'est arrivé, c'est tout...
- C'est... "tout" ?
- Je crois que je suis né pour cette vie. C'est suffisant.
- Pas pour moi.
- Tu veux toujours trouver des réponses logiques à tout...
- Il y en a forcément une.
- Pas toujours, non.
Mais Erwin sentait que Livaï cédait. Le caporal se rapprocha de lui, et son visage se trouva alors à quelques centimètres du sien. Erwin pouvait sentir la chaleur qui émanait de sa peau à travers la laine, et il avala sa salive.
- C'est quelque chose en toi, prononça Livaï doucement. J'ai senti que je devais... aller avec toi. Qu'avec toi, je pourrais enfin être... ce que je devais être... Oh, merde, fais chier, je sais pas comment dire ça...
- Mais il y a bien quelque chose, même si tu n'arrives pas à le décrire...
- Ouais, il y a quelque chose, mais je veux pas vraiment savoir quoi. T'as envie, toi ?
"Et briser ce qu'il y a entre toi et moi, peut-être ?" se demanda Livaï en silence. Le caporal passa sa main dans les cheveux blonds de son supérieur et regarda un moment la lueur du feu jouer sur ses mèches dorées. Quelque chose, dans ses cheveux, dans ses yeux... Il ne pouvait pas le décrire réellement, mais... tout ce qu'était Erwin Smith l'avait appelé. Il avait entendu comme un cri vibrer tout contre son coeur et le monde avait soudainement basculé. C'était étrange de se souvenir aussi parfaitement de ce moment précis sans parvenir à le comprendre pleinement. Mais Livaï s'en moquait. Il lui suffisait d'être là, près de lui, et rien d'autre ne comptait.
Il était parfaitement à sa place et c'était la seule chose dont il était sûr en ce monde.
Erwin se détendit un peu et invita Livaï à se blottir davantage contre lui. Mais le caporal se leva en laissant tomber sa couverture et se dirigea vers l'âtre, comme s'il se sentait tout à coup glacé. Le major se demanda s'il n'était pas allé trop loin, si ses questions n'avaient pas menacé quelque chose de précieux entre eux. Alors, il murmura :
- Non, ça ne m'intéresse pas de le savoir. Ta présence me suffit.
Il tendit la main vers le caporal et celui-ci revint vers lui. Il y avait dans ses yeux quelque chose de nouveau, qu'il n'avait pas encore vu. Ou qu'il avait fait semblant de ne pas voir. Si la confiance totale pouvait s'exprimer par la couleur et la lumière, alors Erwin affirmerait que c'était bien ce qu'il voyait dans le regard de Livaï. Il se sentit comblé comme jamais auparavant. Et pendant un moment, il oublia la vie confortable de Nile et se dit qu'il avait lui aussi de la chance.
Il se mit à bailler et entreprit ensuite d'enlever ses bottes.
- Il est tard, nous devrions essayer de dormir.
- Très bien, je te laisse le canapé.
- On peut s'y serrer à deux, ajouta malicieusement Erwin. Tu ne vas pas dormir par terre.
- Dormir avec toi, moi ? Tu doutes de rien, major. Y a pas assez de place là-dessus ! Tu vas me flanquer par terre !
- Tu n'as qu'à prendre cette place, je dormirai de l'autre côté.
- Compte pas là-dessus ! Et puis je gigote dans mon sommeil. Enfin si j'arrive à m'endormir.
- Si tu fais un cauchemar, je te réveillerai. Ou je te serrerai très fort jusqu'à ce qu'il parte.
Livaï s'éloigna alors avec en tête l'idée de se faire un lit avec les paquetages, mais Erwin n'était pas satisfait. Il susurra :
- Livaï, s'il te plaît.
- C'est un ordre ? demanda Livaï de l'autre côté de la pièce.
- Non, c'est une proposition.
Le caporal se retourna et revint vers le canapé à pas lents. Erwin voulut se pousser, mais Livaï enjamba son corps déjà à moitié allongé pour se caler contre le sofa. Il prit place presque naturellement entre Erwin et le dossier, l'espace laissé libre étant parfaitement adapté à sa taille. Le major attrapa la couverture abandonnée à côté et la remonta sur eux deux. Ils ne disposaient pas d'oreiller, et il laissa la tête de Livaï reposer sur son bras. Sa chaleur rassurante et l'odeur familière de ses cheveux inonda ses sens un instant, mais ce fut la paix qui s'installa en lui, pas le désir.
Le visage enfoui contre la poitrine d'Erwin, son corps pressé contre celui du major, les membres enroulés autour des siens, Livaï écoutait les battements de son coeur. Un coeur si puissant, capable de supporter tant de choses difficiles, et qui gardait aussi tant de secrets. Il tenta de les percer en écoutant ce rythme régulier, de déceler une mélodie, mais finit par abandonner. Erwin gardait ses secrets, mais il avait aussi les siens. Et c'était bien ainsi.
Les lèvres d'Erwin effleurèrent gentiment son front, et Livaï lui délivra dans un soupir :
- Ne me pose plus de question... Laisse-moi juste être près de toi...
- Promets-moi juste de ne pas t'enfuir...
- Idiot.
La main de Livaï se resserra sur la poitrine d'Erwin et il ferma enfin les yeux. Une bûche crépita dans la cheminée.
Ces deux insomniaques, qui fuyaient d'ordinaire les cauchemars que leur apportait le sommeil, dormirent jusqu'au matin, et rien ne vint troubler leur repos.

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