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  • Photo du rédacteurfallen Raziel

Acte 2


- "Enfin. J'ai cru que tu te réveillerais plus."

Livaï, accroupi au-dessus d'Erwin, avait attendu patiemment que son supérieur émerge. Il l'avait examiné, répertorié ses blessures, puis l'avait traîné près d'un arbre et adossé contre le tronc. Il avait ensuite inspecté les parages afin de débusquer des titans et sécuriser la zone. Sur la route, il avait pu remettre la main sur sa cape, un peu déchirée mais toujours utile. Elle reposait présentement sur le torse d'Erwin.

Livaï avait fait les cent pas, guettant les signes vitaux de son chef. Plus d'une fois, les paupières d'Erwin s'étaient crispées, révélant bien qu'il était en vie mais souffrait peut-être. Livaï n'était pas un expert, il ne savait pas si une blessure interne était à craindre. Il devait attendre qu'Erwin se réveille et s'exprime. Les longues minutes d'attente, au milieu de cette forêt blanche et fantomatique, n'avaient pas été agréables. Livaï n'avait aucun point de repère ici, les arbres aux troncs et feuilles sombres se ressemblaient tous, et il n'espérait qu'une chose : qu'Erwin s'éveille et lui dise où aller.


Lorsqu'enfin ce moment arriva, il se pencha au-dessus de lui et le força à le fixer dans les yeux afin qu'il reprenne ses esprits. Ce fut quand le regard de son chef retrouva sa lucidité complète qu'il se risqua à prononcer ces mots. Un mince sourire sur les lèvres du grand blond suffirent à lui redonner un peu le moral.

- "Un réveil peu enchanteur...", soupira Erwin en regardant Livaï.

- "Désolé si je ne fais pas partie de tes rêves, mais je crois qu'on a mieux à faire, là, tout de suite."

Livaï l'aida à s'assoir un peu plus droit et un grognement sortit de la gorge du blessé.

- "Me dis pas que je vais devoir te porter, hein", s'inquiéta Livaï.

Erwin tâta sa jambe et tressaillit. Il n'avait aucun mal à serrer les dents face à la douleur, voire à l'ignorer totalement dans certains cas, mais cette fois-ci il s'agissait davantage d'une gêne inconfortable. Il aurait préféré voir sa jambe en sang plutôt que de constater l'existence de cette sensation désagréable dont il ne parvenait pas à deviner la nature.

- "Ma jambe me fait mal... mais à part ça, je ne me sens pas si cassé que ça..."

- "Bonne nouvelle. T'aurais pu finir comme ton dispositif."

Livaï désigna du doigt un tas de ferraille informe dans la neige à quelques pas.

- "J'te l'ai retiré parce qu'il vaut plus rien. J'ai gardé tes lames et tes bonbonnes de gaz par contre."

- "Et toi Livaï, tu vas bien ?"

Le visage lunaire de son camarade était plus pâle que d'habitude, ses cernes plus marquées, et il arborait une légère estafilade sur la joue. Hormis ces détails, il semblait indemne.

- "Ca pourrait être pire", répondit-il en se levant. "J'ai déjà fait une chute comme ça, donc je sais ce que ça fait. Pas envie de m'en rappeler..."

Erwin froissa la cape de son subordonné entre ses doigts.

- "Tu as retrouvé ta cape ? Où était-elle ?"

Livaï se déplaça de quelques pas et indiqua un endroit de la forêt.

- "Par là, un peu plus loin. Je me suis dit qu'on devait pas être éloignés de la lisière, mais comme j'avais... peur de me perdre, je suis pas allé trop loin."

- "Peur ? Toi ?" s'amusa Erwin en se redressant lentement contre l'arbre.

- "Je sais me repérer en ville, mais ici, ça a rien à voir ! J'suis pas habitué à cette poudreuse !"

Voyant qu'Erwin avait du mal à rester debout, Livaï se précipita malgré lui pour le soutenir. Il put alors juger de l'état de faiblesse de son chef car celui-ci reposa beaucoup de son poids sur lui.

- "Faudrait qu'on examine ta jambe pour voir ce que t'as..."

- "Si tu as trouvé ta cape par ici, alors cela veut dire...", poursuivit Erwin en ignorant sa sollicitude.

Livaï devinait que le cerveau de son supérieur marchait déjà à plein régime et était en train de calculer les distances, mesurer la force du vent, repérer les directions et juger du temps qu'il leur faudrait pour sortir d'ici. Cette capacité à toujours réfléchir de façon optimale en s'aidant du moindre indice avait toujours fasciné Livaï. Il le laissa donc prendre son temps tout en amenant Erwin à faire quelques pas en avant.

- "Combien de temps s'est écoulé depuis ma chute ?" demanda Erwin.

- "Je sais pas, une demi-heure peut-être. Je me suis forcé à marcher un peu pour pas geler sur place."

- "Estime-toi heureux que nous ne soyons pas plus avancés dans l'hiver, nous serions en bien plus mauvaise posture. Donc nous devons être en début d'après-midi. Le soleil est masqué, il sera difficile de s'en remettre à lui pour nous diriger."

- "Fais marcher ta cervelle alors, tu dois bien connaître un peu le coin, non ? T'es déjà venu ici ?"

- "Oui, mais pas en cette saison. Les chemins se sont perdus depuis...", soupira Erwin. "Cependant, si le soleil se montre de temps en temps, je pourrais nous orienter. En attendant nous allons devoir avancer au jugé."

- "Au hasard ?! C'est du suicide, on va crever ici !"

- "Il n'y a pas de hasard avec moi... Ouuch !"

Erwin se laissa tomber par terre. Il avait beau essayer de faire fonctionner sa jambe, celle-ci se dérobait sous lui, incapable de le soutenir.

- "Il faudra que je t'aide à marcher à ce que je vois..." se plaignit Livaï.

- "Tu peux aussi utiliser ton harnais pour sortir d'ici et ramener du secours..."

- "Dis pas de connerie, j'pourrais jamais retrouver mon chemin jusqu'ici, et j'sais même pas où est ce foutu avant-poste !"

- "Donc je crains que tu ne doives m'aider à avancer..."

- "Ttcch..."


Il se demanda un moment pourquoi il s'imposait ça. Erwin avait raison, il pouvait très bien tenter de s'échapper en volant et essayer de trouver le chemin de l'avant-poste des explorateurs. Mais il ignorait la quantité de gaz qui lui restait, il pouvait aussi se retrouver coincé sur la plaine, à pied et à découvert, à la merci du premier titan venu. Idée peu réjouissante. Rester avec Erwin et faire confiance à son intelligence lui paraissait une meilleure option. Ca, et d'autres choses...

Mais cette étendue neigeuse qui se perdait dans le noir ne le rassurait pas. Il aurait aimé qu'Erwin soit sûr de lui pour la direction, mais dans leur situation, son intuition restait leur principal atout.

Avant d'aider Erwin à se remettre debout, il se dirigea vers les vestiges du dispositif de manoeuvre. Il s'empara des bonbonnes et se confectionna un genre de harnais pour les transporter sur son dos avec les courroies. Il était hors de question de laisser ici le matériel utilisable. Il avisa alors le pistolet d'Erwin, brisé lui aussi, mais sur lequel était encore enclenché un fumigène. Il le mit dans sa poche et constata qu'il disposait toujours de son propre pistolet en bon état. Leur réserve de fusées se trouvant sur leurs selles respectives, il n'en disposait donc que de deux. Il ramena le tout à son chef.

- "Les fumigènes nous seront utiles", décida Erwin. "Nous n'en avons que deux et nous devrons choisir le moment où le temps s'éclaircit pour les utiliser."

- "Et si ça arrive jamais ?"

- "Et bien... il nous faudra aussi trouver un abri au moins temporaire où patienter avant de le faire, donc..."

- "Y a peu de chance que ça arrive, quoi."

- "Ne sois pas défaitiste, cette forêt n'est pas si vaste, nous en sortirons en la traversant dans la bonne direction. Tu vas réussir à porter tout ça ?" s'inquiéta Erwin en regardant les bonbonnes sur le dos de Livaï. "Si tu dois aussi m'aider à me déplacer, je crains que..."

- "T'inquiète pas, tu me connais, une vraie bête de somme !"

Livaï ajusta le chargement sur son épaule droite, puis cala son autre bras sous le grand corps de son supérieur, en le tenant par la taille. Erwin faisait de son mieux pour ne pas peser trop lourd en portant son poids sur sa jambe valide, mais leur différence de gabarit sauta aux yeux de Livaï comme jamais auparavant. Il n'était pas au mieux de sa forme non plus et il savait qu'il serait obligé de s'arrêter de temps en temps.

Erwin regarda en l'air, soucieux.

- "Le blizzard s'est arrêté mais il peut revenir. Nous devons avoir atteint l'orée de la forêt avant la nuit, sinon je ne donne pas cher de notre peau."

- "Au moins on y voit clair sans tout ce vent. C'est par ici que tu veux qu'on aille ?"

- "Oui, si mes calculs sont bons, c'est dans cette direction que l'avant-poste se trouve."

- "En avant alors."

Les deux hommes se mirent à avancer lentement, l'un portant l'autre, et leurs silhouettes fondues en une seule quittèrent le lieu du drame, sans savoir ce qui les attendait au-delà.


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