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  • Photo du rédacteurfallen Raziel

3. UNE CONFIANCE ET UN RESPECT RECIPROQUES : Du spin-off au retour à Shiganshina

Disons-le tout de go : la première rencontre entre Erwin et Livaï ne s'est pas passée sous les meilleurs auspices. Pour resituer, Erwin croise Isabel, Furlan et Livaï dans les bas-fonds et tombe immédiatement sous le charme du dernier (inutile de se le cacher). Son plan consistera par la suite à intégrer les trois compères dans le bataillon d'exploration, en usant d'abord de chantage (oui, ce n'est pas très beau mais qui a dit qu'Erwin n'usait jamais de méthodes de ce genre ?), puis en espérant que le trio se tourne de lui-même vers les idéaux du bataillon.


Le décor est posé, passons à la rencontre. Erwin parvient à arrêter Livaï, qui ne fait pas le fanfaron grossier et reste muet tout en couvant Erwin du regard. Erwin sait tout de suite à qui il a affaire, que Livaï n'est pas le genre de personne qu'on peut briser... sauf en menaçant la vie de ses camarades. Ce qu'il fait. Erwin n'aurait sûrement pas exécuté Isabel et Furlan pour avoir le nom de Livaï, mais ici il s'agit de mettre Livaï à l'épreuve, et Erwin comprend qu'il n'est pas égoïste et se soucie de la vie de ses amis. Lorsque Livaï cède en lui donnant son nom, Erwin se fait plus souple et s'abaisse même à terre (en salissant ses bottes au passage, détail significatif) pour se mettre au niveau de Livaï. Aucun n'est dupe. Livaï, même à genou, n'est pas rabaissé malgré ce qu'on lui fait subir mais reste au contraire très digne, et Erwin lui-même, malgré sa position, ne se rabaisse pas non plus devant Livaï et garde un certain ascendant.

Le fait qu'Erwin se salisse, qu'il s'agenouille dans la boue devant Livaï, est un détail important. Suruga n'a pas souligné cela par hasard. Pour Erwin, cela signifie sans aucun doute que Livaï mérite qu'il se salisse un peu pour lui. Et au vu de l'attachement de Livaï à la propreté, il est certain que cela a eu un impact sur lui. Il a dû se dire "cet homme n'hésite pas à se salir", ce qui a dû d'une manière ou d'une autre forcer un peu son respect, même s'il est encore trop tôt pour que cela soit significatif. Mais Livaï a dû jauger Erwin tout comme Erwin avait déjà jaugé Livaï. Cela entre aussi fortement en résonance avec le cas de Kenny Ackerman et de sa rencontre avec Uli. Rappelons les faits.


Kenny tente de tuer Uli mais celui-ci se transforme à moitié en titan et l'attrape avec sa main. Kenny est en position de faiblesse - tout comme Livaï - et Uli peut faire de lui ce qu'il veut - tout comme Erwin. Mais là aussi, Uli décide de s'agenouiller devant Kenny en lui demandant pardon pour les persécutions contre les Ackerman. Ce parallèle est évident. Tout comme Kenny a été saisi par la force et l'humilité d'Uli face à lui, Livaï a dû ressentir la même chose, même si pour lui, il n'était pas encore temps de réaliser qu'il avait devant lui l'homme qu'il décidera de servir. En se montrant d'abord ferme - pour montrer sa force - puis en s'agenouillant humblement dans la boue - signe d'humilité, voulu ou non -, Erwin installe un certain climat entre Livaï et lui. Je ne dis pas que Livaï se met à respecter Erwin à partir de ce moment-là mais cela contribuera à sa prise de conscience qu'Erwin n'est finalement pas ce qu'il pensait qu'il était - grosso modo un sale fonctionnaire qui fait son boulot en arrêtant les bandits. Erwin, lui, respecte déjà Livaï à ce moment - sinon pourquoi se serait-il donné la peine de lui courir après pour en faire un soldat ? - malgré ce que Mike lui fait subir. Il comprend que Livaï est une forte tête et qu'on ne peut traiter avec lui qu'en se montrant ferme. En tout cas, à ce moment-là. Il teste et juge sa force de caractère.

Tout au long de Birth of Livaï, les deux hommes maintiennent une certaine distance. Livaï est plus distant, normal, Erwin l'a quand même coffré et a exercé sur lui un chantage, il ne voit pas plus loin que ça et n'a pas de raison de le faire. Il se répète sans cesse qu'il va tuer Erwin, et on a aucune raison de penser qu'il ne l'aurait pas fait s'il en avait eu l'occasion ; même en tant qu'eruriste, je peux reconnaître cela, mais en vérité cela ne fait qu'alimenter le ship pour une raison que j'évoquerai plus tard. Cependant, Erwin ne rate pas l'occasion de lui faire la conversation. Quand il croise Livaï dans un couloir, il saisit l'opportunité d'éveiller en lui son coeur de soldat (car Erwin ne doute pas un instant que Livaï en est capable, il respecte sa force et sa volonté). Même si Livaï semble se désintéresser de la question, il paraît tout de même intrigué quand Erwin le félicite pour son premier combat. Il réalise peut-être à ce moment que l'homme qu'il dit détester n'a peut-être pas les mêmes sentiments à son égard. Peut-être même en retire-t-il une certaine fierté... Car oui, Erwin a jubilé lors du premier combat de Livaï. Son sourire en dit long sur sa fierté de l'avoir intégré dans le bataillon. Son respect pour Livaï ne fait aucun doute. Mais on peut encore affirmer qu'il est à sens unique... Avançons. Ici, c'est la fin du manga que je vais évoquer (la version de l'anime étant totalement honteuse).

A la fin, Livaï et Erwin sont face à face. Isabel et Furlan sont morts, tués par des titans. Livaï a survécu et tient Erwin - qui s'est précipité pour lui porter secours - sous sa lame. C'est le moment de vérité pour les deux hommes, le moment clef au cours duquel leur vie va se jouer. Erwin est à genoux, désarmé, à la merci de Livaï ; Livaï, debout mais émotionnellement et physiquement terrassé par la mort de ses amis. Erwin explique à Livaï tout le pot aux roses auquel ils ont pris part en vue de coincer Nicolas Rovoff (lisez le spin-off car raconter son intrigue serait trop long ici). Livaï, au lieu de frapper, laisse Erwin parler. Il l'écoute, et, inconsciemment, l'ingéniosité de cet homme doit le frapper au bout d'un moment. Il y a fort à parier que son respect commence déjà à grandir ; car Livaï l'a dit lui-même, il admire la capacité d'Erwin à prendre des décisions qui font avancer les choses, des choses importantes, tout en en supportant les conséquences, même tragiques ; il respecte tellement cela que quand Erwin lui demande qui, à son avis est responsable de la mort de ses amis ("Ce sont les titans !" criera Erwin), Livaï ne charge même pas Erwin de ce tort ; il s'en charge lui-même. Et ce contre toute attente. Dans la situation de Livaï, n'importe qui aurait chargé Erwin de tous les torts, l'aurait tué et se serait barré. Mais pas Livaï. Car après le discours d'Erwin sur la liberté et la nécessité de découvrir le monde extérieur, Livaï lui-même change. Presque d'un seul coup. Un savant mélange d'espoir, de confiance naissante et de respect pour cet homme - qui est visuellement associé aux yeux de Livaï à l'astre du jour, comme s'il était au moins symboliquement celui qui le sort de la nuit - qui risque sa propre vie pour tenter de le convaincre, est à l'origine de ce changement.

Car Erwin se met réellement en danger dans l'affaire - en plus de ne pas hésiter à se blesser en saisissant l'épée de Livaï à pleine main -, et cela n'a pas échappé à Livaï. Il réalise qu'Erwin fait assez confiance à son bon sens et sa volonté d'être libre pour parier sa vie sur le choix de Livaï. Un choix sans regret, rappelons-le. Il lui fait confiance, à lui, un simple truand qui a toutes les raisons de vouloir le tuer. Tous ces éléments vont finir par forger le choix définitif de Livaï de suivre et servir Erwin Smith.


C'est là que j'en reviens au côté presque surnaturel du revirement de Livaï, comparable à celui de Kenny, lui aussi venu pour tuer celui qui deviendra son lige. Si le EruRi est finalement si fort et passionné, c'est parce que ce revirement sera non seulement total mais aussi assez inexplicable, comme je l'ai signifié précédemment. Si la haine de Livaï n'avait pas été aussi forte au début, son changement d'attitude n'aurait pas eu le même impact, on aurait pu le trouver presque banal alors qu'il ne l'est pas. Il détestait cet homme et voulait le tuer ; il finira par lui vouer allégeance et ira en enfer avec lui sans sourciller. Le EruRi commence par là. On pourrait croire à une histoire romantique de cape et d'épée, ou un vassal s'agenouille devant son suzerain afin de lui jurer fidélité ! Et Isayama a insinué que le rapport des Ackerman avec leur lige était de cet ordre-là. Ici, il est flagrant.


Cela n'a pas dû se faire d'un seul coup, loin s'en faut. Les deux hommes vont passer quelques années l'un à côté de l'autre avant qu'on ne les rencontre pour de bon en 850. Au cours de ces années de combat, de nombreuses choses ont dû se passer, des choses qui ont consolidé leur lien au départ fragile en quelque chose d'autre, de tout à fait indéfectible. On peut laisser tout ceci à l'imagination des lecteurs. Mais il ne fait aucun doute que cela est arrivé. Ces deux hommes étaient destinés à se rencontrer et à fabriquer l'Histoire grâce à leur partenariat.


Faisons une ellipse jusqu'à leur apparition officielle dans le manga. Les deux personnages ne nous sont pas tout de suite montrés comme quasiment inséparables. On comprend qu'Erwin est le major du bataillon, et Livaï son subordonné, le soldat le plus fort de l'humanité - il semble même ne pas apprécier qu'on en fasse trop à son sujet.


Après cela, nous les revoyons quand Eren est prisonnier. Ils sont tous les deux face à lui, Erwin assis sur une chaise, et Livaï nonchalamment appuyé contre le mur. Ils donnent tout de suite l'impression de ce qu'ils sont en vérité : Erwin est le chef, et Livaï l'effronté, un peu rebelle mais qu'on craint pour sa force. Ils sont sans doute dans cette pièce depuis un moment avant qu'Eren ne se réveille. Il ne fait aucun doute qu'Erwin a discuté pendant ce temps de la possibilité pour Livaï de le prendre en charge, ce pour quoi Livaï ne semblait pas très chaud au départ. Il attendait de voir si Eren valait le coup, s'il était réellement résolu à servir l'humanité, ou un danger pour eux - et il va de soi que si Eren avait fait le mariole, Livaï aurait été là pour le corriger.


Hiroshi Kamiya a affirmé dans une interview que selon lui, Livaï n'aurait jamais pris Eren sous son aile si Erwin ne l'avait pas ordonné. On peut donc en déduire que même si Eren n'avait pas fait l'affaire à ses yeux, il aurait accepté car pour Livaï, Erwin a toujours raison. C'est une constante dans le comportement de Livaï. Il justifie tout ce qu'il fait par Erwin : Erwin l'a ordonné, Erwin sait ce qu'il fait, Erwin agit toujours pour de bonnes raisons, etc. Livaï n'arrive tout simplement pas à se taire au sujet d'Erwin, même quand il n'est pas présent ! Cela reflète une chose évidente : Livaï s'en remet totalement à Erwin pour gérer le destin de l'humanité, mais aussi, et surtout, le sien. Car les actes de Livaï sont dictés par les ordres d'Erwin. Cela ne signifie pas que Livaï n'est pas capable de se gérer seul - on le voit pendant l'arc politique - mais cela semble plus confortable pour lui de laisser Erwin guider ses actes. En tout cas, cela peut être une explication plausible. Les choix que Livaï a dû faire se sont souvent soldés par des échecs. En laissant Erwin décider à sa place, cela lui permet de déplacer l'entière culpabilité sur leur quatre épaules au lieu des siennes seules si cela doit mal tourner.


Durant l'arc du titan féminin on assiste à leur première vraie discussion "cryptée". Erwin ordonne à Livaï de se ravitailler avant de rejoindre son escouade. Il faut savoir que Livaï discute très souvent les ordres d'Erwin... pour toujours finir par y obéir. Cela semble presque un rituel entre eux. Ici, Erwin ne donne aucune précision et lui demande d'obéir sans discuter. Ce qui signifie "aie confiance en mon jugement". Ce que fait Livaï. Parce que le silence de son supérieur lui suffit pour comprendre que cet ordre est sans appel et a un sens, trop long à expliquer. Et de fait, parce que Livaï a obéi à cet ordre, il est toujours en vie.

Il faut savoir que la confiance entre les deux est réciproque et d'égale puissance (voire les graphiques dans la rubrique correspondante sur la page des liens). Livaï ne pourrait pas agir s'il n'avait pas l'entière confiance d'Erwin et Erwin ne pourrait pas mener à bien ses plans si Livaï, le soldat le plus fort de l'humanité, n'acceptait pas de le suivre de façon inconditionnelle. Ces deux hommes se soutiennent donc mutuellement et se font avancer l'un l'autre. Ils se construisent l'un avec l'autre. Livaï doit être fier de suivre un homme aussi intelligent et visionnaire et Erwin doit lui-même ne pas en revenir que quelqu'un aussi puissant que Livaï accepte de lui obéir. Mais ce n'est pas une chose dont ils ont besoin de parler ; c'est un accord tacite entre eux, qui n'a pas besoin de document officiel ou de mots pour exister. Seuls les actes et leurs résultats comptent.


Est-ce que la confiance de Livaï en Erwin n'a jamais flanché ? En tout cas, Livaï n'accable jamais Erwin quand les choses tournent mal. Il accepte les éventuels échecs comme faisant partie de son "contrat" avec Erwin. Il en accepte les conséquences avec lui. Livaï n'est pas faible, et il n'est pas prisonnier d'Erwin ; s'il voulait partir parce que tout cela est trop dur, il le ferait. Mais il reste.


Cependant, cette confiance qui a malgré tout survécu à toutes les embûches, a connu des hauts et des bas. La première fois quand Erwin se met à sourire en apprenant que les titans sont en fait des humains. Livaï s'est dit pour la première fois que son major n'était peut-être pas tout à fait ce qu'il semblait être. Il est évident que Livaï ici s'indigne qu'une chose qui l'ai choqué puisse faire sourire Erwin. Et comme il me paraît évident que Livaï connaît au moins une partie de son désir de connaître les secrets du monde extérieur - et aussi peut-être un tout petit peu concernant les théories hérétiques de son père -, il fait vite la soudure entre ce sourire, la nouvelle sur les titans et ce qu'Erwin lui a sans doute raconté autrefois. Il se met dans l'idée que peut-être, la victoire de l'humanité - qui est venue supplanter le rêve d'Erwin et le reléguer tout au fond de lui - n'était peut-être qu'un camouflage pour un objectif plus personnel.

Que Livaï se soit senti un peu trahi à ce moment est compréhensible. Il a une confiance absolue en cet homme qui ne lui a finalement pas tout révélé de ses objectifs, et c'est sans doute plutôt ça qui le peine. Sa déception est bien plus personnelle que professionnelle. Il pensait connaître Erwin, mais en vérité celui-ci est resté une énigme même pour lui. Kenny fait la même constatation avec Uli : malgré leur proximité, il n'a jamais réussi à le comprendre totalement. Livaï fait ici la même expérience avec son lige. Cela génère chez lui une frustration qu'il va tenter de soigner en compagnie de sa nouvelle escouade composée des membres de la 104ème, qui sont beaucoup plus jeunes, transparents et simples à comprendre.

Mais, et il faut bien le souligner, ce nouveau recul qu'il a sur Erwin ne le détourne pas de lui. Quand Erwin fomente le coup d'Etat, Livaï le suit sans hésiter, comme toujours. Livaï a pris du recul sur Erwin ; tout comme Kenny a admis qu'Uli, son lige, était obsédé par un rêve irréalisable, Livaï a admis qu'Erwin était possédé par un rêve enfantin et innocent - bien que par la suite perverti par les morts. Tout comme Kenny, qui ne s'est jamais détourné d'Uli et continue de le respecter même mort, Livaï ne se détourne pas d'Erwin et continue de le servir avec ces nouvelles données en tête. Car même si Erwin n'a pas été tout à fait franc avec lui, il reste un visionnaire qui a toujours raison à ses yeux. Au fond, cela ne change pas la validité de ses plans et de ses actes. Si Livaï avait douté des intentions d'Erwin, il ne l'aurait sans doute pas suivi dans cette périlleuse aventure intra-muros. Il se serait opposé à lui. Il ne le fait pas.


Entre-temps, Livaï retrouve Kenny, son tuteur, son oncle, qu'il a toujours pris pour son père - Erwin vit pendant ce temps ses propres déboires de son côté. Ce que Livaï et Erwin vivent chacun de leur côté est éprouvant physiquement et mentalement. Erwin est accusé d'avoir fomenté le meurtre de Dimo Reeves - en vérité l'oeuvre de Kenny - et est jeté en prison. Il y est apparemment passé à tabac avant d'être présenté devant le roi. Ici, on l'informe que Livaï, son "homme de confiance" - l'expression n'est pas anodine - a tué plusieurs hommes des brigades spéciales avant de s'enfuir. Erwin est bien entendu surpris car son plan visait à renverser la monarchie sans faire de victimes. Le but est bien évidemment de le déstabiliser, car tout le monde sait qu'Erwin fait une confiance si totale à Livaï que s'il venait à douter de lui, de son intégrité, cela pourrait le faire flancher et avouer son hostilité envers le gouvernement. Mais Erwin tient bon car il sait que si Livaï a tué, c'était par obligation. Il lui garde toute sa confiance et sait qu'il n'a pas fait en sorte de saboter l'opération.


Livaï de son côté est à la recherche d'Eren et Christa, enlevés par Kenny. Alors qu'il interroge l'un des protagonistes, celui-ci menace les membres prisonniers du bataillon - Erwin le premier - de pendaison s'il ne se rend pas. De même, cet homme sait également la fidélité que Livaï voue à Erwin et ceci est une tentative évidente de l'amadouer. Mais Livaï fait aussi confiance à Erwin et sait qu'il n'accepterait pas que l'opération capote à cause d'un Livaï en plein doute. Aussi, il passe outre - même si son regard en dit long sur ses pensées... Comme tous les Ackerman dont la vocation semble être de protéger leur lige, qu'on menace Erwin ne lui a sans doute pas plu du tout... Mais il a aussi une mission à remplir, et il s'y tient.

Après leurs retrouvailles dans le chapitre 67 - au cours desquelles on dirait qu'ils se sentent mutuellement dans le noir, c'est très troublant ! - Erwin confie la seringue à Livaï, celui d'entre eux qui a le plus de chance de survivre. D'un point de vue stratégique, cela se comprend mais on remarque aussi qu'Erwin ne l'ordonne pas à Livaï : il le lui demande. Ce dont Livaï s'étonne. En faisant cela, Erwin donne à Livaï la possibilité de choisir celui dont il privilégiera la vie. Il fait confiance à Livaï pour prendre la bonne décision, sans la lui souffler par ailleurs. En tant que major du régiment, il aurait pu tout à fait légitimement ordonner à Livaï de le sauver en priorité - ce que Livaï aurait fait - mais il ne le fait pas. A la place, Livaï demande à Erwin ce qu'il compte faire s'il atteint son objectif. Erwin répond qu'il n'en sait rien, que ce qui compte c'est déjà d'atteindre le sous-sol des Jaeger. Erwin ne se projette pas dans l'avenir lointain mais reste dans le présent immédiat et le futur proche. Livaï en déduit sans doute que malgré tout, Erwin reste attaché à ses responsabilités et veut avant tout des résultats concrets. Il accepte donc la seringue pour lui montrer que sa confiance envers lui est juste et qu'il ne le trahira pas. Car Livaï aurait apparemment pu refuser.

Puis a lieu la fameuse confrontation entre eux, sans doute la plus grande de leur vie commune car il ne s'agit plus ici de discuter un ordre mais de la vie d'Erwin. Au-delà du fait qu'Erwin ne lui parle pas comme Livaï attend qu'il le fasse (revoir le précédent chapitre sur la communication), l'idée de perdre Erwin est odieuse pour Livaï, car il l'associe à la victoire de l'humanité. Du moins est-ce une habitude qu'il a prise même si le concept même de victoire de l'humanité, au vu des forces en présence, ne signifie plus grand chose. Il ne veut pas empêcher la reprise du Mur Maria, de toute façon nécessaire, mais empêcher Erwin de s'y rendre en personne. Livaï sait qu'Erwin a changé et qu'il n'est peut-être plus émotionnellement assez stable pour faire face à ce qui pourrait s'y passer - ce qui est à moitié vrai. Ce qu'il craint, c'est que cette expédition ne soit en fait pour Erwin qu'un suicide programmé ; ce qu'Erwin ne dément pas car il dit que c'est plus important pour lui d'au moins tenter le coup plutôt que de mourir sans avoir au moins essayé d'atteindre le sous-sol des Jaeger. Leur langage est ici crypté comme nous l'avons déjà vu.


Après ses tentatives pour le raisonner, Livaï baisse les bras, mais pas complètement. S'il ne peut pas empêcher Erwin de partir au combat, il fera en sorte qu'il revienne vivant. Il fait donc sien le but d'Erwin, à savoir atteindre le sous-sol et son contenu pour découvrir la vérité. Ce qui, finalement et sans qu'il le sache vraiment, a toujours été son but à lui aussi, puisqu'Erwin ne s'en est jamais caché, et ce depuis l'intégration d'Eren dans le bataillon. On peut lui reprocher certaines morts qui auraient pu être évitées (mais après tout comment peut-on le savoir ?), tout en gardant à l'esprit qu'il a tout de même oeuvré pour en éviter le plus possible. Mais on ne peut lui reprocher d'avoir trahi les objectifs du bataillon. Livaï le sait et continue donc de le servir parce que c'est ce qu'il faut faire. Au pire, il a sans doute déjà dans l'idée d'injecter le sérum à Erwin si cela devait mal tourner.


Durant la fête, Livaï s'en prend à Eren et Jean, soi-disant parce qu'ils sont trop bruyants, ce qui doit être vrai. Mais Isayama a révélé que c'est surtout parce qu'il n'a pas réussi à dissuader Erwin de partir au combat (Answers, p. 169). En fait, il passe ses nerfs. De même, quand il écoute Armin parler de son rêve, il est bien évident que cela a un sens pour lui ; que cela lui rappelle des choses qu'Erwin lui a dites dans le passé. Cette scène signifie selon moi qu'Erwin a bien parlé des théories de son père à Livaï auparavant ; et peut-être pas qu'à lui, les explorateurs sont connus pour être des excentriques qui ont de drôles de théories sur le monde. Hanji par exemple en a aussi peut-être eu connaissance.

Au cours de la bataille, Livaï manque de tuer Reiner. Et il se met en colère après. Pendant toute la durée du retour à Shiganshina, il apparaît clairement que les pensées de Livaï sont tournées vers Erwin et le fait qu'il puisse se faire tuer. Cela a pu lui faire rater son coup.

Plus tard, la bataille fait rage et Erwin semble paralysé. Il ne peut plus prendre une décision qui fera davantage de morts. Livaï prend alors les devants ; c'est lui qui propose à Erwin un plan de repli ; de repli pour Erwin, et pour quelques autres, dont Eren. Fuir à dos de titan est la meilleure chance pour Erwin de s'en sortir vivant. Erwin ne s'y oppose pas formellement mais demande à Livaï ce qu'il compte faire. Livaï lui répond qu'il va se mesurer au bestial. Ici, Erwin refuse. Il a déjà perdu trop de monde inutilement, il ne veut pas que cela arrive à Livaï. Il décide donc de rester sur place.


Comprenant que Livaï risque de mourir pour rien car il n'a aucune chance d'atteindre le bestial sans aide, Erwin se propose alors pour servir de leurre, avec tout le bataillon. Comme Livaï semble interloqué par le plan, Erwin décide de vider son sac. Il lui parle des morts qui pèsent sur sa conscience, il montre sa peur de ne pas pouvoir se comporter en major responsable. Livaï l'écoute, en silence, alors que le chaos règne autour d'eux. Le temps semble suspendu et les deux hommes sont comme dans une bulle d'intimité. Ce moment leur appartient à eux seuls. Livaï voit l'autre face d'Erwin en plein jour, celle de l'enfant traumatisé qui a perdu son père jadis et est resté cerné par la mort toute sa vie. Il voit sa fatigue et son désespoir. Mais Livaï décide que c'est l'autre Erwin qui doit prendre le dessus, le chef de guerre charismatique plein de volonté qui a finalement réussi à mener le bataillon à son objectif. Dans les faits, Erwin est le meilleur leader que le bataillon ait jamais eu. C'est ce que Livaï dit à Erwin. Son rêve n'est pas le plus important, Erwin a oeuvré pour la cause, et s'il doit mourir - car c'est de toute façon ce qui les attend tous s'ils ne font rien - , alors ce sera en tant que tel. Erwin semblait attendre que Livaï approuve son plan, qu'il le motive et le redresse dans sa propre estime pour prendre la décision finale. Il remercie Livaï de l'avoir soutenu et de lui permettre de mourir dignement - s'il doit mourir. A ce moment Erwin se doute que ce sera sa dernière charge. Livaï, lui, a encore de l'espoir grâce au sérum. Il le laisse donc partir en se promettant de le sauver s'il le peut.

Durant le combat, Livaï est bien sûr pressé par l'urgence de la situation : chaque minute passée peut voir tomber un soldat de plus. Arrivé au bestial, il déploie une force réellement surhumaine, bien au-dessus de ce qu'il a montré jusqu'à présent. Isayama a révélé que les Ackerman ne peuvent déployer leur plein potentiel que lorsqu'ils se battent pour leur lige (Answers, p. 168). On peut aisément déduire ici qu'un tel déploiement de force, contre lequel le redoutable bestial lui-même est impuissant, est peut-être dû au fait que Livaï veut tout faire pour qu'Erwin ne meure pas parmi les soldats. Qu'il se bat pour lui en vérité.


La suite, on la connaît. Sieg parvient à s'enfuir parce que Livaï a trop réfléchi au lieu d'agir. Il a trop pensé, et pensé essentiellement à Erwin. Il sent tellement qu'il est peut-être mort ou mourant que l'idée de lui injecter le sérum et de lui faire manger Sieg pour le sauver lui fait perdre sa vigilance. Il est à noter ici qu'Erwin est la première personne que Livaï pense à sauver. Si son dialogue n'avait pas été accompagné de l'image d'Erwin (le Erwin souriant au visage doux dont Livaï veut se rappeler parce que c'est finalement le seul qui existe pour lui), il aurait pu passer pour de l'inquiétude générale sur tout le monde, et on aurait pu penser que sauver n'importe qui aurait fait l'affaire. Mais Isayama dessine Erwin en arrière-plan, ce qui signifie que c'est à lui que Livaï pense en premier. Le seul auquel il pense peut-être d'ailleurs.

Le drame de Livaï lorsqu'il a doit donner le sérum à Eren pour sauver Armin commence alors. A ce moment, il pense qu'Erwin est bien mort et que cela ne sert plus à rien d'espérer. Il s'apprête donc à donner le sérum à Eren quand Frock intervient, portant le corps d'Erwin sur le dos. Il n'est pas mort mais n'en a plus pour longtemps. Livaï change alors totalement d'idée et défie quiconque de l'empêcher de donner le sérum à Erwin. Il devient même violent et envoie un coup de poing dans le visage d'Eren, qui démontre à quel point cela compte pour lui. Erwin est son lige, il est celui qui a guidé sa vie, pas question qu'il meurt. Si Livaï avait choisit la voie de la raison et de la logique hiérarchique, s'il n'avait pensé qu'à lui, il aurait injecté le sérum à Erwin. Mais son avis change entre-temps ; à cause du discours de Frock.


Frock clame que l'humanité a besoin d'un chef fort, impitoyable, sans émotion, un vrai démon, pour pouvoir l'emporter sur les titans. Et qu'à ce titre, ils ont besoin d'Erwin. C'est ce discours, bien plus que le souvenir du rêve d'Armin - dont Livaï se moque d'ailleurs un peu - qui décide finalement le caporal à faire marche arrière. Car Livaï ne veut pas qu'Erwin devienne un démon. Car il sait que ce n'est pas sa vraie nature, même si c'est ce que ses soldats attendent de lui. Il sait qu'Erwin souffre des morts qu'il a dû causer, et s'il devait en supporter davantage, ce serait sa fin ; une fin horrible, qui le ferait devenir l'antithèse de ce qu'il est, en tout cas aux yeux de Livaï.

Sa décision devient irrévocable quand Erwin affiche son dernier geste : celui de l'enfant qu'il était lorsqu'il voulait poser une question à son père sur le mystère du monde extérieur. Si Livaï n'avait pas été mis eu courant par Erwin de son passé et d'un minimum de choses concernant son père, ce geste n'aurait eu aucune signification pour lui, et Isayama ne n'aurait pas dessiné. Livaï sait. Et ce qu'il ne savait pas, il le devine tout d'un coup. Le discours de Kenny lui revient : on a tous une obsession qui nous fait tenir. Mais celle d'Erwin est devenue morbide, et l'a détruit à petit feu, comme celle de Kenny. Or, Kenny, dans un dernier acte altruiste, a décidé de ne pas s'injecter le sérum et de mourir comme un humain. Alors qu'il était un démon lui aussi. Livaï, à qui Erwin a confié le sérum et donc la charge de décider à qui l'injecter, fait alors ce choix ultime : laisser Erwin mourir comme un humain, ne pas le faire revenir en tant que titan, en tant que démon, et le libérer de son obsession. Le rendre réellement libre, car c'était leur rêve à tous les deux. Et comme Erwin ne lui a pas donné d'ordre contraire, et au vue de tous les échanges qu'ils ont eus, Livaï en déduit que c'est sa volonté. Alors il fait ce qu'il a toujours fait : il exécute le dernier ordre d'Erwin, celui qu'il ne lui a jamais donné, pour mettre un terme à sa descente aux enfers. Livaï ne l'y renverra pas, c'est son choix. Un choix non dicté par le devoir - car son devoir lui dictait au contraire de le "sauver" - mais simplement par son amour pour cet homme qui mérite de mourir en héros. Un choix qu'Erwin aurait peut-être approuvé, même si nous ne le saurons jamais. Livaï devra donc vivre avec cette incertitude désormais, mais il a choisit de le faire.

Quand on constate que le pauvre Armin a aussi hérité des souvenirs morbides de Bertholt, on peut effectivement se dire que Livaï a eu raison ; un tel afflux de morts et de culpabilité en plus sur l'esprit déjà tourmenté d'Erwin l'aurait vraiment détruit. Livaï a davantage "condamné" Armin - qui ne représente rien pour lui ; si n'importe qui d'autre s'était trouvé en balance avec Erwin, il aurait fait le même choix. Le but ici n'était pas de "sauver" Armin mais de "sauver" Erwin en ne lui injectant pas le sérum.


Livaï le précise bien à Armin : il ne remplacera pas Erwin. Il faut bien lire cette déclaration pour comprendre ce qu'elle veut dire. Hanji va remplacer Erwin dans l'immédiat, mais si elle venait à tomber, Armin pourrait la remplacer comme major - de ce qui reste du bataillon. Ce que Livaï veut dire ici ce n'est pas qu'Armin ne ferait pas un bon major, mais qu'il ne remplacera pas l'homme qu'était Erwin. Surtout pour lui. Son allégeance ne se renouvellera pas. Tout comme Kenny, il restera fidèle à la mémoire de son lige, sans doute jusqu'à sa mort. Il a d'ailleurs une promesse à tenir - tuer le bestial - qu'il tiendra.


Le corps d'Erwin sera laissé à Shiganshina, comme une sentinelle silencieuse. On peut se demander pourquoi. Peut-être que personne ne voulait le ramener dans les Murs trop vite ; peut-être voulait-on le laisser à l'extérieur, dans le lieu qu'il a réussit à reconquérir, comme un symbole. Mais des années plus tard - des années car Isayama parle d'os, et il faut des années pour qu'un cadavre devienne squelette -, Livaï revient à Shiganshina reprendre les os d'Erwin et les ramène avec lui pour lui offrir une sépulture. Peut-être l'a-t-il fait juste avant de partir pour Mahr. Il s'agit ici de l'ultime acte de respect - et d'amour, car on ne peut se résoudre à un acte aussi morbide et aussi dur que pour quelqu'un qu'on aime, exactement comme l'euthanasie, ce que Livaï a offert à Erwin - d'un homme à présent bien seul, sans doute affaibli - son lige n'est plus là alors qu'il était le moteur de sa force -, et qui devait tout à Erwin Smith.


La suite du manga nous dira si Livaï parviendra à tenir sa promesse à Erwin. Son apparence après l'ellipse de quatre ans ne laisse guère de doute sur son attachement au passé. Il porte toujours la cape du bataillon et se bat toujours avec ses épées alors que tous les autres sont passés à autre chose. Isayama veut-il nous faire croire que Livaï vit son baroud d'honneur et mourra à son tour dans la gloire, comme son major bien-aimé ? L'histoire reste ouverte.


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