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  • Photo du rédacteurfallen Raziel

2. DEUX HOMMES TACITURNES : Facilité et difficulté à s'exprimer

Erwin et Livaï ont tous deux des difficultés à s'exprimer, mais de manière différente.

Livaï n'a pas reçu d'éducation digne de ce nom. Il a également eu un modèle en matière d'expression dont on peut être sûr, c'est Kenny. En ce qui concerne sa mère, elle lui a peut-être appris les bases de la lecture et de l'écriture, mais Livaï a sûrement dû peaufiner cela tout seul.


Kenny est un homme qui jure souvent. Livaï est à peu près pareil. Il a dû apprendre à exprimer ce qu'il ressent de manière franche, bien qu'avec maladresse. Sa façon de rabrouer les gens, parfois en étant dur ou grossier, est sans doute la seule manière d'interagir de façon optimale dans les bas-fonds. C'est un endroit dur et dangereux, où il faut savoir se faire respecter, montrer qu'on a de la répartie et pas froid aux yeux. Ceux qui font montre de trop de tendresse ou d'émotion se font vite tuer. Mais Livaï est un être double (tout comme Erwin) : il y a en lui un fond de bonté indéfectible, peut-être hérité de sa mère. Cela donne donc souvent un mélange détonnant d'effronterie, de grossièreté et de bienveillance. Livaï ne s'embarrasse pas de chichi, quand il a un truc à dire, il le dit, quitte à en rajouter un peu pour faire bouger les choses et les gens.


Mais c'est aussi un homme réservé. En vivant dans une atmosphère de danger constant, sous terre ou en expédition, il a développé une propension à éviter de s'attacher aux autres. C'est un réflexe de survie, dans un environnement où la mort peut-être rapide (Answers, page 168). Ce qui prouve que Livaï n'est pas si dur à cuire que ça, sinon il n'aurait aucun problème pour nouer des liens. Le fait est qu'il en a peu. Kenny a été important pour lui, c'est sûr, ainsi que sa mère ; Isabel et Furlan ont aussi compté dans sa vie. Les membres du bataillon d'exploration aussi, particulièrement Erwin dont il semble le plus proche. Mais finalement, au cours d'une vie, cela reste peu, plus que pour certains d'entre nous peut-être, mais peu tout de même quand on constate le nombre important de personnes qui ont croisé sa route. Il semble dresser une barrière constante entre lui et les autres qui empêche de cerner tout à fait quel genre de personne il est.


Il est difficile d'appréhender sa personnalité dans son entier, car il est un noeud de contradictions. Capable de violence, de sautes d'humeur mais aussi attentif à ce que les autres se portent bien, il n'attache pas grande importance à ce qu'on pense de lui. La plupart des gens le voient surtout comme quelqu'un de froid et d'indifférent, seuls ceux qui le connaissent bien peuvent parler de son côté chaleureux.


Livaï admet lui-même avoir du mal à s'exprimer par les mots. Il ne sait pas raconter sans se perdre dans des détails sans rapport. Livaï préfère laisser Erwin gérer tout ce qui a trait au discours, car il le sait meilleur à cet exercice. Mais de même, il lui est difficile d'exprimer ses émotions fortes avec des mots. Isayama insiste beaucoup sur les expressions faciales et les attitudes de Livaï pour indiquer comment il se sent. Quand il découvre son escouade décimée, les mots sont inutiles ; Isayama nous montre seulement son visage. De même durant le drama sur le toit avec le sérum, pas moins d'une vingtaine de close ups nous montrent les expressions faciales de Livaï qui en disent plus sur lui que n'importe quel texte. Sa tête est un chaos et il est déboussolé, ne sait plus quoi faire, entre son devoir et son coeur.


Erwin, lui, a été éduqué convenablement ; il est allé à l'école, et a un don naturel pour parler et convaincre. C'est un leader né, un orateur. Il est à l'aise avec les mots, mais sa difficulté se trouve ailleurs. Erwin n'est pas le genre à se laisser aller à la sensiblerie. Il est d'ailleurs moins émotif que Livaï, ou en tout cas, il le gère mieux. Erwin s'est forgé depuis son enfance une carapace afin de s'assurer de ne laisser personne le percer à jour. Car Erwin, tout comme Livaï, est double : il est à la fois le leader charismatique, le génie militaire qui force l'admiration, qui sait faire de beaux discours en se persuadant lui-même de leur vérité, et aussi l'enfant qui, parce qu'il a parlé à tort et à travers, a causé la mort de son père. Erwin sait donc manier les mots et les choisit avec prudence, afin de ne pas se nuire ou nuire à autrui. Il dit ce que les autres veulent entendre afin de les motiver et de les amener à le suivre, ce qui est une qualité pour un chef militaire. Mais pour un être humain, cela peut vite devenir un défaut. Un défaut dont il n'a pris conscience que sur le tard. Les mots de Zackley le mettent à terre, et lui rappellent alors son véritable objectif. Erwin revoit tous ses actes et ses discours passés comme des mensonges confortables auxquels il a bien cru lui-même. Mais la notion de mensonge chez Erwin est floue. Le personnage se ment à lui-même, peut-on donc parler de calcul ou de fourberie ? Rien n'est moins sûr, car Erwin n'avait aucune intention de nuire. Quand il exhorte ses soldats au combat, auquel il prend lui-même part, il n'y a pas lieu de penser qu'il n'est pas sincère.


Erwin possède un jardin secret bien plus étendu et enchevêtré que celui de Livaï. On s'y perdrait ! Pourtant, les deux hommes sont perçus de la même façon par leurs subordonnés les plus bas de l'échelle du bataillon ; comme des hommes froids, sans émotion, qui n'hésitent pas à sacrifier leurs soldats pour leurs intérêts. Tout en continuant à les suivre au combat, ce qui en dit long sur leur charisme. Même si Livaï et Erwin n'ont finalement pas le même niveau émotionnel et de langage, ils se serrent les coudes pour encaisser ensemble les mauvais coups (on le voit au retour de l'expédition du titan féminin). Ils restent tout aussi silencieux l'un que l'autre, comme s'ils avaient conscience que les torts étaient partagés. En ce sens, ces deux hommes, qui ne forment en vérité qu'un seul aux yeux des explorateurs, sont plus seuls que n'importe qui d'autre. Car peu de gens peuvent véritablement les comprendre. Et c'est peut-être ce qui les rapproche aussi. Ce n'est pas pour rien si le contenu smartpass les présente ensemble en interview ; parce que finalement ils sont ceux qui se connaissent le mieux l'un et l'autre.


Notons aussi leur facilité à communiquer avec le regard. Dès Birth of Livai, alors que leur relation est plutôt tendue, Suruga insiste beaucoup sur les jeux de regards entre eux, comme pour mettre en place leur confiance mutuelle à l'avenir. Le premier qu'ils échangent est particulièrement éloquent : Livaï s'enfuit en volant dans les bas-fonds ; Erwin est là, il ne l'arrête pas et se contente de le fixer de façon plutôt énigmatique. Il n'est franchement pas difficile d'imaginer une admiration certaine - pourquoi pas un coup de foudre made in Erwin - dans son regard appuyé, accompagné d'un léger sourire à peine perceptible, calé sur le coin de sa bouche. Le regard de Livaï est fuyant, comme celui d'un animal traqué, mais il a bien remarqué le regard de cet homme, qui semble être un soldat mais qui ne fait pas son travail, qui consisterait à le coffrer. Cette première prise de contact entre eux à été un échange de regards, et ce n'est pas anodin. Un autre, particulièrement étrange, a lieu à la cérémonie d'intégration. Keith Shadis ordonne aux nouvelles recrues de se présenter, et Livaï - qui semble bien embêté par cette obligation - lance à Erwin un regard peu discret, comme s'il lui demandait silencieusement s'il doit le faire. Comme si déjà, à ce moment, Livaï se mettait en condition pour recevoir ses ordres.






Après qu'Erwin ait perdu son bras, on assiste là aussi à un petit manège assez rôdé entre eux, où Erwin essaie de provoquer Livaï pour qu'il lui dise une vacherie. Ce qui ne manque pas, Livaï lui disant qu'il est effectivement digne de pitié, en bon estropié qu'il est. Mais il ne manque pas aussi de lui signaler qu'il s'est occupé de toute sa paperasse administrative afin qu'il ne soit pas stressé par tout ce travail à son réveil. Toujours prévenant, notre Livaï.


Il est à noter que la grossièreté de Livaï ne semble pas déranger Erwin, même quand elle le cible. Livaï n'hésite pas à utiliser des expressions ou des plaisanteries qui ne seraient pas admises en bonne société pour détendre l'atmosphère ou exprimer du stress. Erwin ne le reprend jamais, même quand Livaï se permet d'évoquer ses difficultés intestinales ! Dans une hiérarchie uniquement professionnelle, Erwin, en tant que major, ne devrait pas accepter ce manque de respect oral ; mais justement, les liens entre Livaï et lui vont au-delà de la simple hiérarchie militaire. Livaï a connu Erwin chef d'escouade ; sans doute en a-t-il fait partie après la mort d'Isabel et de Furlan. Il a partagé avec lui des moments forts sur le champ de bataille, qui créent des liens qu'on ne peut voir nulle part ailleurs. En clair, ces deux hommes ont dépassé le stade du parler poli. Ils sont assez proches pour se dire les choses, pour se charrier, pour se bousculer. C'est parce qu'Erwin ne doute pas du respect de Livaï qu'il ne le réprimande pas sur ses remarques qui pourraient être blessantes pour tout autre personne.

Mais, au moment où Livaï aurait eu sans doute le plus besoin d'entendre Erwin dire ses véritables pensées, le courant ne passe pas. Quand Livaï se rend compte qu'Erwin va aller au front malgré son bras en moins, il ne sait pas comment lui dire de ne pas le faire. Se traîner à ses pieds en le suppliant de ne pas sortir n'aurait pas été dans son style habituel. Son style habituel, c'est la plaisanterie graveleuse. Or, ici, Livaï sait que ce ne serait pas approprié. Alors il improvise sur plusieurs registres. Il use d'abord de la peur, en faisant remarquer à Erwin qu'avec son bras manquant, il risque juste de se faire bouffer. Ensuite, il use de flatterie, en lui disant qu'il est la meilleure arme dont ils disposent contre les titans et qu'il ferait mieux de faire marcher son cerveau plutôt que de risquer sa vie dehors. Aucune ne marche. Erwin est déjà bien trop possédé par son obsession pour se laisser faire. A son tour, il sert à Livaï un discours tout fait, tout préparé, que Livai ne laisse pas passer.

Si j'en crois les japonisants qui ont lu cette scène en VO, la véritable raison du pétage de plomb de Livaï serait liée à la façon dont Erwin lui parle. Apparemment, les deux hommes ont en général une façon de se parler plus détendue quand ils sont seulement tout les deux (honne). Or dans cette scène, Livaï reproche à Erwin de lui parler comme s'il était un étranger, un subordonné comme un autre auquel on doit présenter des discours stéréotypés et impersonnels. C'est ce qui fait sortir Livaï de ses gonds et lui fait prononcer sa fameuse menace qu'on devrait plutôt traduire ainsi en français : "Si tu continues de me parler sur ce ton (tatemae), je te pète les jambes." Livaï est peiné qu'Erwin lui serve un discours stéréotypé alors que lui-même n'est plus dupe des intentions d'Erwin (voir le lien wikipédia que j'ai posté au Préambule qui explique les nuances de langages japonaises). Livaï sait que le but d'Erwin est d'aller lui-même dans le sous-sol des Jaeger afin de contempler la vérité qu'il a tant cherchée de ses propres yeux. Il le sait mais il veut qu'Erwin le lui dise de vive voix, qu'il lui dise ce qu'il a vraiment sur le coeur au lieu de lui servir un discours convenu. Ce qu'Erwin ne fait pas. Pour diverses raisons mais principalement parce qu'il ne veut pas perdre la confiance de Livaï. Cette confiance étant basée uniquement sur sa volonté de sauver l'humanité - du moins le pense-t-il -, avouer ce but "égoïste" à Livaï reviendrait pour lui à le perdre. Il préfère donc conserver une certaine distance en gardant son secret et l'allégeance de Livaï plutôt qu'en lui disant la vérité et que tout s'écroule. C'est son attitude de départ, qui changera par la suite, après la menace de Livaï.


On ne sait pas à ce moment si Livaï a pardonné sa "trahison" à Erwin. Pas plus qu'on ne sait s'il a pardonné à Kenny d'avoir menacé sa vie, cet homme qui a pourtant fait son possible autrefois pour le faire survivre. On sait que la mort de Kenny a eu un impact considérable sur Livaï ; son discours sur les obsessions aussi. Livaï a peut-être pris du recul non seulement sur lui-même, mais aussi sur Erwin sans l'ombre d'un doute. Avoir été séparé de lui pendant l'arc politique et s'être ressourcé au contact des jeunes de son escouade lui a sans doute aussi permis de faire preuve de plus de sagesse. Quand il revient vers Erwin, c'est avec une nouvelle vision. Il n'est plus à ses yeux le chevalier blanc au coeur pur qu'il pensait - à tort - qu'Erwin était. De même que Livaï lui-même n'est pas un héros alors qu'il pensait l'être, Erwin n'est pas un saint. C'est une nouvelle donnée avec laquelle il va composer. Au lieu de se détourner de cet homme, qu'il servait autrefois comme une machine à tuer des titans, Livaï va changer d'attitude ; il va tout mettre en oeuvre pour l'aider et le sauver. Car c'est de cela qu'Erwin a besoin maintenant.


Livaï n'est pas contre l'expédition à Shiganshina ; elle est de toute façon nécessaire. Mais il ne veut pas qu'Erwin y prenne part car pour Livaï, cela signifie qu'il cherche à mourir. Personne à part lui ne décèle la pente descendante sur laquelle Erwin se trouve (même Hanji). Après la cascade de tatemae, que Livai prend très mal, il passe à sa menace de lui casser les jambes.


Il se rend compte que s'il veut l'arrêter, il doit carrément l'immobiliser. Il ne le ferait pas de gaieté de coeur (il précise qu'il les lui casserai propre et net pour que ça guérisse sans problème), mais c'est une extrémité à laquelle l'apparente indifférence d'Erwin le pousse. Livaï est en détresse ici, il ne sait plus comment communiquer avec Erwin, alors qu'il y arrivait avant sans même que des mots soient nécessaires (quand Erwin lui ordonne de se recharger en gaz sans besoin d'expliquer pourquoi, par exemple). Parce qu'Erwin à ce moment n'est plus exactement le même qu'avant, il est possédé par ses objectifs dont rien ne peut le détourner. Livaï n'a pas appris à communiquer avec cet aspect d'Erwin. En résulte une incompréhension qui fait que Livaï baisse les bras - pour le moment. Erwin finit par avouer à demi-mots son objectif - voir la vérité de ses propres yeux - et Livaï répond, comme toujours, qu'il s'en remet à son jugement. Cette phrase a toujours scellé sa confiance en Erwin. Ici, elle a la même signification. Elle veut dire "tant que ton rêve n'entre pas en contradiction avec les intérêts de l'humanité, je t'aiderai à le réaliser ; mais tu dois aussi en assumer les conséquences, comme tu l'as toujours fait." Livaï, ici, fait comprendre à Erwin qu'il le suivra, quoi qu'il arrive. Le but d'Erwin devient le sien.


Livaï comprend alors qu'Erwin est résolu à laisser sa vie dans l'opération s'il le faut. C'est une prise de conscience difficile pour lui et à partir de ce moment, Livaï ne va pas arrêter de foirer plusieurs de ses actions (il échoue à tuer Reiner, et laisse le bestial s'échapper) sans aucun doute parce que le souci de ramener Erwin en vie malgré lui lui prend toute son énergie.


Toute cette scène est à lire entre les lignes. Les jeux de regards entre les deux sont éloquents : Livaï, qui en sait déjà un peu, se doute d'en quoi consiste le but d'Erwin : prouver que son père avait raison ; Erwin se doute que Livaï le sait et essaie d'esquiver ses questions parce qu'il ne veut pas le dire de vive voix. Dans cette scène, Livaï essaie de coincer Erwin, de l'acculer afin qu'il reconnaisse que son rêve est toxique, mais n'y arrive pas. Il est trop tard, Erwin ira au combat et y mourra. Glorieux.


La communication entre eux se rétablit quand Erwin s'effondre enfin devant Livaï. C'est un moment très intime entre eux deux, car des gradés d'un régiment militaire ne peuvent se laisser aller de cette manière en temps normal. Il n'hésite plus à exprimer ses doutes et son sentiment de culpabilité devant Livaï ; il sait que celui-ci ne le jugera pas mal, car Erwin sait que Livaï a vu clair en lui et qu'il l'a suivi malgré tout ; il veut partager son mal-être avec lui, lui faire comprendre à quel point sa charge était lourde à supporter (ce dont Livaï n'a jamais douté puisqu'il en a pris sa part). Peut-être a-t-il voulu lui dire tout cela depuis un moment sans en trouver la force, de peur que Livaï ne se détourne de lui, en le considérant comme un chef incompétent et indigne d'être suivi. Mais c'est tout le contraire qui se passe. Livaï lui affirme qu'il est un chef exemplaire et qu'il a agit comme il le devait. Livaï sait qu'il ne pourra pas forcer Erwin à s'échapper, alors il tente de lui offrir une mort glorieuse. Cependant, c'est Erwin et non Livaï qui propose la dernière stratégie, celle du suicide programmé. Erwin n'attendait qu'une chose de Livaï, qu'il le suive dans cette démarche. Les mots que Livaï choisit ici pour lui parler sont sans doute les meilleurs qu'il pouvait trouver et rattrapent l'acte manqué précédent. Pour la première fois peut-être, les mots qu'il prononce ont une importance capitale, et permettent à Erwin de retrouver celui qu'il est réellement, le major du bataillon d'exploration, et de laisser l'enfant blessé en arrière.


L'ultime "merci" d'Erwin à Livaï vaut tous les autres mots qui auraient pu être dits. C'est sur ce "merci" qui résume toute leur vie commune qu'ils se disent réellement adieu avant de charger tous les deux vers leur destin.



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