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  • Photo du rédacteurfallen Raziel

1. UN TRAUMATISME COMMUN : Culpabilité et complexe du héros



Livaï est né dans les bas-fonds, d'une mère prostituée et d'un père inconnu. Sa mère meurt assez tôt (j'estime qu'il devait avoir environ 5 ans quand c'est arrivé, mais les âges ne sont jamais certains dans SnK). Même si Livaï en arrivera à considérer Kenny comme son père, il n'en reste que Livaï est donc devenu orphelin très tôt. Cela a été un traumatisme certain pour lui. Quand il regarde la mère et l'enfant dans l'arc politique, cela lui rappelle sa propre mère et lui-même. Livaï est sans doute resté longtemps auprès de sa mère mourante, le traumatisme l'a donc forcément marqué. De même, la question restée sans réponse depuis des années quant à son lien de parenté avec Kenny l'a sans doute tourmenté.


Erwin est né quelque part dans le Mur Rose, dans une famille visiblement ni riche ni pauvre. On ne sait rien de sa mère, peut-être morte très tôt, mais on en sait plus sur son père. Celui-ci était un professeur qui avait des théories sur le monde extérieur que le gouvernement qualifie d'hérétiques. A cause de cela, il fut enlevé, torturé puis exécuté par les agents des brigades centrales. Le détail de l'histoire qui fait toute sa tragédie, c'est que cela a eu lieu parce qu'Erwin, encore jeune et innocent, a répété à ses camarades ce que disait son père ; camarades qui iront vendre la mèche aux autorités. Erwin s'est donc retrouvé responsable indirect de la mort de son père, et on imagine le traumatisme qui régira toute sa vie par la suite.


Nous avons donc deux personnages qui ont vécu très jeunes la mort de leur unique parent connu, et qui ont dû apprendre à vivre beaucoup par eux-mêmes (même si Livaï avait Kenny pour s'occuper de lui, il est probable qu'Erwin ait aussi eu une personne sur laquelle compter jusqu'à l'âge adulte). On peut facilement mettre en parallèle ces deux trauma, qui expliquent pourquoi les deux se ressemblent par bien des aspects. Ils sont froids, se lient difficilement aux autres, parlent peu (même si Erwin, de par sa position, parle forcément davantage), s'isolent beaucoup, sont peu compris par les autres, se confient peu, etc. Erwin et Livaï ont tous deux compris très tôt que les humains pouvaient être pires que les titans, contrairement aux cadets pour qui tuer un être humain est une expérience difficile... Cela explique aussi en partie leur froideur à l'égard de leurs semblables ; ils sont beaucoup plus lucides que les autres sur la réalité du monde qui les entoure.

Il semble évident que ces deux hommes se sont racontés au moins une partie de leur passé respectif. Même si c'est moins évident pour Livaï (on peut juste imaginer qu'en 6 ans de vie commune, ils ont bien dû en discuter), pour Erwin, cela peut se soutenir dans le canon. Quand Erwin agonise sur le toit, il a un geste très significatif que Livaï analyse très bien (et qui sera sans doute l'élément déclencheur de son choix final de le laisser mourir) : il lève le bras "en l'air" comme à l'époque où il était en classe pour poser des questions à son père sur le monde extérieur. Ce geste, s'il n'était pas significatif pour Livaï, n'aurait aucune raison d'être là. Si ce geste est si important pour Livaï, si Isayama a jugé bon de le placer ici, c'est parce qu'Erwin a sans doute parlé de son père à Livaï, de ses théories aussi ; et Livaï, ici, voit clairement à quel point ce traumatisme a détruit Erwin, et à quel point son obsession de la vérité a guidé sa vie, même aux portes de la mort. C'est la connaissance qu'il a du passé d'Erwin qui l'a en partie décidé à faire en sorte que tout ceci s'arrête.



De même, si Livaï semble choqué que les motivations d'Erwin ne soient pas aussi pures qu'il l'escomptait, il me paraît peu probable que cela le surprenne réellement si Erwin lui a parlé au moins en partie de son passé (et s'il en parle à Pixis, qui n'est pas un proche, on peut difficilement penser qu'il ne l'ait pas fait avec Livaï, Mike ou Hanji). Le choc quand il voit le sourire d'Erwin est bien davantage lié au fait qu'il pense qu'Erwin se réjouit que les titans soient en fait des humains alors que Livaï en est horrifié. En vérité, Erwin est surtout satisfait de constater que son père avait raison (la vérité sur les titans devait aussi être une théorie de son père), pas que les titans soient des humains. C'est à ce moment que son démon commence à se réveiller (l'intervention de Zackley achèvera le processus, qui ne pourra plus être stoppé, même par Livaï). Quand Livaï lui demande si c'est pour cette raison qu'il s'est engagé dans le bataillon, il veut dire par là que c'est pour prouver les théories de son père, qu'Erwin a dû lui confier, qu'il se bat, et non pour l'humanité en général ; ce qui n'est pas choquant en soi, la recherche de la vérité sur les titans faisant de toute façon partie des objectifs du bataillon ; Erwin n'est donc pas un imposteur, Livaï n'a seulement pas pesé tout le poids de la culpabilité d'Erwin, et Erwin ne lui a sans doute jamais parlé du fait qu'il se sentait responsable de la mort de son père. Livaï commence à le réaliser ici, mais finira par passer outre, et comme le dit Isayama dans Answers (page 169), il essaiera plutôt de le protéger et le sauver de lui-même par la suite plutôt que de s'en détourner. Cette trahison, qui n'en est en fait qu'à moitié une, n'est pas suffisante pour séparer ces deux hommes qui ont tant en commun et vécu tant de choses ensembles.


De plus, Livaï a vécu la mort de Kenny par la suite, et celui-ci met en avant d'autres faits indéniables qui tendent à tempérer les choses. Il explique à Livaï que tout le monde est obsédé par quelque chose et se bat pour des objectifs personnels. Livaï réalise qu'il est atteint d'un fort complexe du héros, qui l'amène à vouloir sauver tout le monde sans arrêt (le drame de Livaï c'est qu'il échoue tout au long de sa vie à sauver ceux qu'il aime). Cela lui permet de remettre en perspective les ambitions soi-disant égoïstes d'Erwin (alors qu'ils servent fidèlement les objectifs du bataillon) en mettant en avant les objectifs réels de tout le monde, y compris les siens. Livaï a rejoint le bataillon pour être libre (il parle de l'air en-dehors des Murs, qui est plus pur que dedans), pour pouvoir sauver ceux qui sont en danger. Et, il faut le rappeler, parce qu'Erwin l'a ébloui (Birth of Livaï). Il faut bien le dire, Livaï n'a rien d'un Jésus ; c'est un homme qui peut faire preuve d'une grande violence (sans cruauté) et d'une grande compassion tout à la fois. Mais ce n'est pas un philanthrope ; l'humanité en général, il ne doit pas vraiment s'en soucier. Il prend soin des personnes qui lui sont proches, il peut être touché par la détresse de certaines personnes de façon ponctuelle (la mère à l'enfant), mais c'est tout. Il n'a pas peur de passer pour un psychopathe si cela sert les buts d'Erwin. Il a dû prendre du recul sur lui-même et en déduire que finalement Erwin n'est pas si égoïste que ça, en tout cas pas plus que lui (si on regarde bien, tous les personnages ont leurs raison de rejoindre le bataillon et aucun ne le fait uniquement pour l'humanité, même Eren, qui le fait surtout par esprit de vengeance).


Au lieu de se détourner de lui, ce qu'il aurait fait s'il s'était réellement senti trahi (il serait peut-être resté dans le bataillon, mais n'aurait plus suivi avec tant de confiance les plans d'Erwin par la suite), Livaï fera en sorte à partir de ce moment de protéger à tout prix Erwin de lui-même car le discours de Kenny lui a fait comprendre à quel point une obsession peut être néfaste. Il ne veut pas perdre Erwin, car Erwin n'est pas seulement le "charlatan" qu'il paraît être, c'est aussi un chef responsable, qui a oeuvré pour limiter les victimes, un homme qu'il connaît pour l'avoir côtoyé au quotidien et étroitement pendant des années au point de devenir son bras-droit ; un homme au fond plutôt bon (Livaï le considère comme bon, après d'un point de vue objectif et extérieur, celui du manga, on peut le contester, mais c'est le point de vue de Livaï qui prime ici), qui se tourmente des morts qu'il a dû causer, et enfin un homme qui a mené le bataillon à son objectif avec brio (Livaï lui-même l'en félicite) et qui n'a donc, réellement, pas grand chose à se reprocher. Livaï le dit lui-même : Erwin a agi comme tout le monde a voulu qu'il agisse, Livaï le premier.


Cependant, Livaï ne voulait pas qu'Erwin se transforme en démon (celui que Frock évoque dans son discours), il l'a donc laissé mourir en toute humanité. Je reviendrai sur ce point en évoquant une autre thématique plus tard.


Erwin, lui, à partir du moment où son démon s'éveille, se met à culpabiliser pour toutes les morts qu'il pense avoir provoquées. Car la culpabilité est une part intégrante de sa personnalité depuis la mort de son père. Erwin affirme qu'il a enfoui ses obsessions, et donc sa culpabilité, pendant des années et a réussi à se convaincre qu'il faisait tout cela pour l'humanité. Celui qu'Erwin parvient donc à tromper le mieux, et le premier, c'est lui-même. Pas Livaï, pas Mike, ni Hanji. Il n'est donc pas un menteur au sens propre du terme, un être malveillant qui voulait nuire à autrui et se carapater au moment où ça a commencé à sentir le roussi. Il s'est juste caché la vérité afin de faire au mieux son travail. Quand sa culpabilité s'éveille, il se charge volontairement de tous les sacrifices faits (qui auraient de toute façon été faits pour poursuivre les buts du bataillon), car c'est comme ça qu'il fonctionne. Tout comme Livaï, qui culpabilise toujours de ne pas pouvoir sauver tout le monde même quand il n'y est pour rien, Erwin se charge des morts de ses soldats car la culpabilité est la croix qu'il porte depuis son enfance. Il ne fait que s'en souvenir. Erwin est un homme qui a très peu de considération pour sa propre vie ; cela l'a amené à devenir froid et à première vue indifférent à celle des autres. Livaï est toujours là pour lui rappeler le sacrifice des autres (après la capture du titan féminin, par exemple), mais sans jamais l'accabler pour ça car il comprend le bien-fondé de ces sacrifices. Les seuls qui devraient être autorisés à sacrifier la vie des autres sont ceux qui sont prêts à se sacrifier eux-mêmes. Erwin et Livaï y sont tous deux prêts.


Toutes les années qu'Erwin a passé à faire semblant de ne rien voir et ne rien ressentir lui reviennent en plein visage et il s'effondre en se parant de tous les défauts (défauts que Livaï ne retient pas contre lui). Livaï le réconforte en balayant ses doutes sur lui-même : il lui dit qu'il a agit comme il le fallait et qu'il n'a pas de reproche à se faire, que c'est grâce à lui s'ils sont sur le point de reprendre le Mur Maria. Ce n'est qu'après cette approbation de la part de Livaï, sans doute la personne qui lui est la plus chère, dont la confiance et l'approbation lui importent le plus (son souvenir de la scène finale de Birth of Livaï en est la preuve) qu'Erwin peut se redresser et affronter son destin, en ayant remercié son fidèle bras-droit de l'avoir soutenu pendant toutes ces années de combat. De ne pas s'être détourné de lui.


Cela montre qu'il n'est justement pas insensible, que tout ceci le touche énormément, autrement, il ne se serait pas effondré sur la mort de ses camarades. Erwin n'est finalement qu'un homme, plein de qualités et de défauts, tout comme Livaï. Mais il n'est pas plus égoïste ; objectivement, au vu des résultats obtenus, on ne peut absolument pas dire qu'il l'est. Isayama a aussi affirmé dans Answers qu'Erwin n'était pas du genre à faire passer ses ambitions avant ses responsabilités (page 170). C'est bien le cas. Cela l'a été jusqu'au bout, jusqu'à son sacrifice. Si l'ambition d'Erwin était peut-être un peu puérile mais guidée par un réel traumatisme, il est resté un homme adulte, responsable et glorieux jusqu'à sa mort. Livaï l'a aidé à le faire quand il était en plein doute, et je le remercie.



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